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[Commentaire d’arrêt] Respect du PIIS par le CPAS

Lorsqu’un CPAS signe un projet individualisé d’intégration sociale (PIIS) avec un étudiant, peut-il ensuite changer d’avis alors que la situation n’a pas changé, au motif que l’établissement fréquenté est privé et non reconnu ? Un CPAS peut-il réduire son aide après avoir validé un projet de formation ? Ces questions touchent au respect des engagements contractuels et à la dignité des bénéficiaires. Elles sont au cœur d’un arrêt du 26 octobre 2023 de la cour du travail de Bruxelles (R.G. 2022/AB/49). Cet arrêt montre comment le principe « pacta sunt servanda » s’applique dans le domaine de l’aide sociale et met en lumière les conséquences juridiques du non-respect d’un PIIS.

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1. Les faits

Monsieur B. suit des études de jeux vidéo dans un établissement privé non reconnu par la Communauté française. Il demande une aide au CPAS de sa commune pour payer son minerval qui coûte 4.990 €.

Le CPAS mène alors une enquête sociale, il conclut que :

  • La formation de Monsieur B. est équivalente à une formation de plein exercice en Belgique ;
  • Le secteur des jeux vidéo est en forte croissance, ce qui rend le projet de Monsieur B. crédible et ce qui signifie que ses études peuvent augmenter significativement ses chances d’insertion socio-professionnelle ;
  • Le CPAS soutient son projet d’études, bien que l’établissement fréquenté soit privé.

Un projet individualisé d’intégration sociale (contrat « PIIS ») est signé entre Monsieur B. et le CPAS.  Le PIIS prévoit des obligations pour le CPAS et pour Monsieur B. :

  • Le CPAS devra payer le solde du minerval de Monsieur B.
  • En contrepartie, Monsieur B. devra faire les efforts nécessaires pour réussir ses études. Il devra aussi demander une bourse à la Communauté française. Si Monsieur B. reçoit la bourse, il devra rembourser le CPAS.

Monsieur B. demande donc une bourse à la Communauté française. Mais la Communauté française refuse de la lui accorder car Monsieur B. est inscrit dans un établissement qui n’est pas reconnu.

Après avoir réussi sa deuxième année, Monsieur B. demande au CPAS de payer le minerval de la troisième année. Le CPAS ne lui paie que 1.000 € et lui demande de négocier le reste avec l’école.

Le CPAS motive sa décision par le fait que l’établissement de Monsieur B. n’est pas reconnu et que le CPAS n’est pas obligé de financer le minerval qui est beaucoup plus élevé que celui des établissements reconnus. Le CPAS craint aussi que le mauvais état de santé de Monsieur B. réduise ses chances d’insertion socio-professionnelle.

 

2. La décision du tribunal du travail

Monsieur B. conteste devant le tribunal la décision du CPAS de ne lui payer que 1.000 € pour son minerval.

Le tribunal annule la décision du CPAS et lui ordonne de payer l’intégralité du minerval, sans obligation de remboursement de la part de Monsieur B.

 

3. La décision de la cour de travail

Le CPAS fait appel. La cour du travail confirme la décision du tribunal. Elle souligne que :

  • Le CPAS doit respecter les engagements pris dans le contrat PIIS signé avec Monsieur B. car Monsieur B. a bien rempli ses objectifs : il a réussi ses études et a demandé une bourse ;

 

  • Le CPAS ne peut pas revenir sur sa décision de donner une aide, car il avait validé le projet d’études de Monsieur B. après une enquête sociale, en sachant que l’établissement n’était pas reconnu et que le minerval coûtait cher. Il n’y a donc pas information nouvelle dans le dossier de Monsieur B.

La cour du travail souligne que la situation financière de Monsieur B. justifie le fait que l’aide soit non remboursable pour ne pas compromettre sa dignité humaine. L’état de santé de Monsieur B. ne justifie pas la réduction de l’aide sociale payée par le CPAS.

 

4. Ce qu’il faut retenir de cet arrêt

Cet arrêt montre l’importance du respect des engagements contractuels dans le cadre de l’aide sociale. Lorsqu’un CPAS signe un PIIS, il ne peut pas unilatéralement modifier ses obligations, sauf si un changement de situation justifie une modification. Ceci garantit la sécurité juridique des bénéficiaires et préserve leur droit à une insertion socio-professionnelle cohérente avec les engagements pris.

L’arrêt souligne aussi que le CPAS ne peut pas retirer ou diminuer une aide sociale à cause d’incertitudes sur l’avenir du bénéficiaire. L’appréciation de la viabilité d’un projet d’études doit se faire au moment de l’engagement initial, et ne peut pas être remise en cause par la suite en raison d’éléments déjà connus au moment de la signature du PIIS.

Enfin, cette décision met en avant la nécessité de protéger la dignité des bénéficiaires en assurant que l’aide accordée ne les place pas dans une situation financière précaire. Le droit à l’éducation et à l’insertion sociale ne doit pas être compromis par des revirements de l’administration, ce qui renforce le rôle du PIIS comme un outil clé de l’accompagnement des étudiants en difficulté.

 

Elisabeth Kostakis

 

 

C. trav. Bruxelles, 26 octobre 2023, R.G. 2022/AB/49

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