Menu

L’accessibilité du droit passe-t-elle par une bonne formation des juristes ?

Télécharger cet article en PDF

Télécharger le PDF

Introduction

Arrivant au terme de ses études de droit, le futur juriste s’interroge sur l’impact qu’il aura dans la société de demain. Durant sa formation, il doit être conscient qu’il peut, à son échelle, rendre le droit le plus accessible et le plus compréhensible possible pour la population. L’accessibilité du droit (qui passe aussi par la clarté du langage juridique) est une préoccupation centrale de la Street Law Clinic.

D’emblée, un paradoxe se dresse quant à l’accessibilité du droit. Comment se fait-il que le droit ne soit compréhensible que par les personnes initiées à celui-ci alors qu’il impacte l’ensemble de la population ? Avec cette question, apparaissent de nouvelles interrogations : cela veut-il dire qu’une partie de la population subit la règle de droit sans la comprendre ? Pourquoi le droit n’est-il pas rédigé dans des termes plus clairs ?

Face à ces interrogations, le besoin de traduire le droit, d’exprimer le droit plus clairement et de manière plus accessible se fait sentir.

Exprimer le droit dans des termes clairs est un exercice qui est loin d’être évident. Cet article s’intéresse aux corrélations entre la problématique de l’accessibilité du droit (1.) et la formation dispensée aux juristes (2.).

 

1. La problématique de l’accessibilité du droit

A. Un droit qui doit être compris uniquement par les juristes ?

Le droit étant complexe à maîtriser, il est nécessaire que le juriste aide la population à saisir le sens des règles de droit, l’ensemble de la population n’étant pas toujours au fait du droit. Un avocat qui éclaire son client sur une règle de droit est un bon exemple d’aide à la population.

Cet exemple permet d’infirmer l’idée selon laquelle les juristes ne communiquent qu’entre semblables[1]. Cette idée reviendrait à dire qu’il n’y a pas lieu de fournir des efforts pour rendre le droit plus accessible, au prétexte que celui-ci ne devrait être compris que par ceux qui le maîtrisent déjà et le mobilisent au quotidien, à savoir les juristes. Une telle réflexion est aux antipodes de la raison d’être de la Street Law Clinic, clinique qui a notamment pour but d’offrir de l’aide juridique aux étudiants en situation précaire qui ne connaissent pas leurs droits et/ou ne savent pas comment les mettre en œuvre et qui sont désireux de bénéficier de l’aide de leur CPAS.

Il est donc erroné de dire que le droit ne doit être compris que par les juristes. Le droit, enseigné par les juristes, devrait être compréhensible par toute la population. Le droit ne présente en effet pas qu’un intérêt pour les juristes, puisqu’il a un impact important sur l’ensemble de la population.

B. Des textes de loi obscurs ?

Les problèmes d’accessibilité du droit trouvent notamment leurs sources dans les textes de loi eux-mêmes. De fait, ceux-ci sont trop souvent rédigés dans des termes qu’on peut qualifier d’obscurs et qui sont difficiles à interpréter, même pour le juriste… Celui-ci va donc devoir redoubler d’efforts pour, d’une part, assimiler les textes de loi et, d’autre part, pouvoir les réexpliquer dans des termes plus accessibles au citoyen. L’inflation et la complexité des textes de lois posent problème car, comme le dit l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi ». L’entièreté de la population doit se plier à la loi, même si elle peine à saisir son contenu.

Comment pallier cette difficulté de compréhension pour la population ? La solution se trouve, entre autres, dans les importantes réformes des différents codes qui ont lieu, ces derniers temps, dans notre pays[2]. Ces réformes ont pour but d’intégrer une partie de la jurisprudence dans les textes de loi et de rendre plus accessible leur contenu.

Rendre les lois plus accessibles est bénéfique tant pour le juriste que pour le reste de la population.

Pour le juriste, des textes modernes et actualisés faciliteront grandement son travail et l’aideront notamment dans sa mission de « traduction » du langage juridique pour la population.

Les réformes sont également un outil qui permet de rendre la loi plus accessible à la population. Reprenons le problème à sa source. D’où vient le fait que la population se sente éloignée du droit ? De sa complexité ? Certainement. Le droit n’est pas facilement compréhensible pour une personne qui n’a pas suivi des cours de droit. Mais plus fondamentalement, si le droit est aussi complexe, c’est également parce qu’il est inscrit dans des textes de lois dépassés aux formulations parfois peu compréhensibles ! Les récentes réformes qu’a connues la Belgique sont donc un très bon outil – parmi d’autres – qui permet de soigner le problème à sa source : les citoyens disposent d’un droit actualisé et plus lisible.

 

2. La formation du juriste et les difficultés rencontrées

A. Une formation universitaire trop idéaliste ?

Durant son cursus universitaire, le juriste est formé pour s’exprimer au travers d’un vocabulaire précis et fourni. Cette exigence l’oblige à soigner sa syntaxe et dès lors à s’exprimer dans un langage plus soutenu. Confronté à d’autres étudiants ou à des professeurs s’exprimant comme lui, le juriste se retrouve coincé dans une bulle hermétique. Il prend ainsi l’habitude de s’exprimer de manière soutenue, étant sûr d’être compris par ses condisciples.

Il est important que cette bulle hermétique soit percée afin que le juriste puisse se rendre compte que la population ne comprend pas le droit de la même manière que lui ; elle peut être soumise à des problèmes d’accessibilité du droit.

Un bon moyen de percer cette bulle est d’offrir la possibilité à l’étudiant en droit d’effectuer un stage. Cela lui permet d’appliquer les nombreux concepts étudiés durant son cursus à des situations pratiques. L’étudiant a l’occasion de rencontrer des acteurs du terrain qui lui fourniront des conseils et des réflexions venant nourrir ses connaissances et parfaire sa formation.

Cependant, il se pourrait que, durant son stage, l’étudiant ne soit pas confronté à des questions d’accessibilité du droit. Un stagiaire pourrait se trouver chez un maître de stage qui ne traite qu’avec des juristes ou avec des personnes bien au fait du droit. Ces situations nous semblent toutefois peu fréquentes.

Dans ce cas toutefois, le stage ne permettra pas de sensibiliser l’étudiant à l’accessibilité du droit. Le stage n’est donc pas une solution miracle à la question de la sensibilisation à l’accessibilité du droit. Mais il s’agit d’une piste d’action parmi d’autres.

B. La difficulté d’adapter son langage.

Ayant toujours (ou très majoritairement) mobilisé le droit avec ses confrères sans se soucier de ne pas être compris, le juriste peut se trouver déstabilisé lorsqu’il est amené à expliquer le droit à une personne qui n’y connait rien en la matière.

Le juriste va donc devoir adapter la manière dont il s’exprime, en fonction de son interlocuteur. Il devra veiller à employer des termes simples et compréhensibles du grand public lorsqu’il dialogue avec une personne ayant peu voir aucune connaissance en droit.

Adapter son langage en fonction de son interlocuteur se révèle être plus difficile qu’on ne le croit. Formaté pendant son cursus universitaire à devoir s’exprimer dans un langage soutenu, le juriste va être amené à « se déconstruire, retourner vers une forme plus sociale de communication du savoir »[3]. Cet exercice est indispensable pour rendre le droit accessible à l’ensemble de la population, qui est l’un des principaux destinataires du droit.

Bien que l’exercice soit indispensable, celui-ci s’avère néanmoins périlleux.

En effet, exprimer le droit dans des termes clairs ne signifie pas pour autant que le juriste doive manquer de précision et de rigueur dans ses explications – bien au contraire même. Il se peut que le juriste, en s’exprimant de manière vague et imprécise, perde de vue des informations essentielles pour son interlocuteur, ce qui pourrait lui être préjudiciable. Cet exercice implique d’ailleurs que le juriste s’assure au préalable de sa propre compréhension du droit.

C. Une solution à la problématique de l’accessibilité du droit ? La sensibilisation des (futurs) juristes !

Il est essentiel que l’étudiant en droit soit sensibilisé à la question de l’accessibilité du droit dès le début de sa formation. Celui-ci doit avoir à l’esprit que le droit touche l’ensemble de la population, qui doit pouvoir le comprendre. Dans le point 1B ci-dessus, il était énoncé que pour traiter le problème d’accessibilité du droit, il faut remonter à la source de ce problème et rendre les textes de lois plus lisibles. Cet objectif passe également par une bonne formation des juristes de demain. Ainsi, il pourrait être intéressant d’intégrer dans les programmes universitaires des étudiants des cours, des stages, des conférences mettant en avant les problèmes d’accessibilité du droit qui touchent une partie de la population.

Une fois que l’étudiant en droit aura été sensibilisé à cette question, il aura presque toutes les cartes en sa possession pour rendre le droit accessible à la population.

 

Conclusion

Pour conclure, il convient de revenir à la question centrale de cet article : l’accessibilité du droit passe-t-elle par la formation des juristes ? Il est indéniable qu’une bonne formation a un impact capital dans l’accessibilité du droit. Elle permet au juriste de mieux comprendre les nuances et subtilités du droit, de mieux l’appliquer mais aussi de mieux l’expliquer.

Que faut-il entendre par « bonne formation » ? Pour que la formation du juriste soit optimale, il est important que ce dernier puisse, durant son cursus, être confronté à la pratique du droit et être sensibilisé à la question de l’accessibilité du droit.

La Street Law Clinic et son combat.

Pour ma part, je pense que la Street Law Clinic est un très bon exemple d’outil qui permet de rendre le droit accessible à toutes et tous. Les étudiants de la clinique ont reçu des formations, données par l’ASBL Droits Quotidiens, sur l’accessibilité du droit ainsi que sur la clarté du langage juridique. Cela nous permet de nous adresser aux autres étudiants dans des termes plus compréhensibles, tout en veillant à garder une justesse dans nos propos.  Bien qu’un des objectifs premiers de la clinique soit d’aider les étudiants à faire valoir leurs droits vis-à-vis de leur CPAS, il est indéniable qu’elle ambitionne aussi de faciliter l’accès au droit pour tous les étudiants. En effet, l’objectif premier de la clinique est intimement lié au sujet central de cet article, l’accessibilité du droit.

La Street Law Clinic permet donc d’œuvrer tant à l’accessibilité du droit qu’à son effectivité. Il faut s’assurer que les étudiants connaissent leurs droits mais qu’ils puissent aussi les faire valoir pour bénéficier des prestations auxquelles ils ont droit.

 

Adrien de la Street Law Clinic

 

Télécharger cet article en PDF

Télécharger le PDF

————————————-

[1] K. Haeri, « La formation des juristes : le regard de l’avocat », les Cahiers de la justice, 2018/2, p. 276.

[2] On peut par exemple citer la réforme du livre V du Code civil, relatif au droit des obligations.

[3] M. Corten, « La Street Law Clinic en droit social de l’ULB : un agent de changement en puissance ? », Politique, 21/05/2021, disponible sur https://www.revuepolitique.be/la-street-law-clinic-en-droit-social-de-lulb-un-agent-de-changement-en-puissance.

Nos partenaires